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L’enjeu de la santé mentale sous la protection de la jeunesse n’est pas un jeu

Publié le 6 janvier 2022 par Geneviève Caron, Kevin Champoux-Duquette, Jessica Côté-Guimond, Maggy Durand, Samuel Ladouceur, Émilie Roy et Annie Thériault, membres du Comité de jeunes de l’Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJEP).

Depuis janvier 2017, notre comité d’environ dix jeunes âgés de 21 à 35 ans qui ont été suivis en protection de la jeunesse au Québec, se rassemble pour faire entendre la voix des jeunes et être consulté par l’équipe de recherche de l’Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJEP). Dans le but de faire reconnaître nos différents savoirs expérientiels et devenir des porteurs d’espoir, nous avons pris la parole sur plusieurs tribunes, notamment lors de l’ouverture de la Commission Laurent (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse), une expérience qui a été marquante pour nous.

Au sujet de la santé mentale, nous avons constaté par notre expérience que pour traiter les traumatismes et les troubles d’attachement, la médicalisation et les mesures de contrôle sont souvent les principaux moyens utilisés dans le système de la santé et des services sociaux parfois même sans égard au vécu des jeunes. Cette approche, que nous jugeons impersonnelle et contraignante, utilisée pour agir sur des symptômes tels que les troubles de comportement et émotionnels, peut faire violence aux jeunes, les stigmatiser, les culpabiliser, les fragiliser dans leurs sphères personnelles (p. ex. faible estime de soi) et sociales (p. ex. sentiment d’impuissance). Nous croyons également qu’elle peut causer préjudice à leur intégration dans la collectivité et nuire à leur rétablissement. Les études montrent notamment qu’un placement prolongé en institution est souvent associé à un sentiment d’abandon, de la stigmatisation, une absence de modèles positifs et un manque d’expériences permettant de se découvrir (Goyette et al., 2010).

Lors de nos expériences de placement, nous avons constaté que certains intervenants émettent des hypothèses diagnostiques sans avoir les compétences requises, ce que plusieurs appellent des « diagnostics de bouts de comptoir ». C’est-à-dire qu’ils ne prennent pas toujours en compte l’histoire de vie, les traumatismes, les antécédents familiaux et les environnements au sein desquels les jeunes évoluent. Il nous apparaît primordial qu’une évaluation biopsychosociale soit effectuée par une équipe multidisciplinaire afin d’obtenir un diagnostic fiable et un traitement adapté à la réalité du jeune.

En appui à Robin (2012), nous croyons qu’il est essentiel de proposer des pratiques d’interventions sociales et collectives favorisant l’émergence de liens de confiance. Les intervenants doivent pouvoir offrir une variété d’activités potentiellement réparatrices aux jeunes (Bélisle et al., 2011) et adapter les services à leurs besoins pour qu’ils soient plus enclins à s’engager dans un rapport constructif avec les intervenants et à s’approprier le processus d’intervention (Turcotte, 2008).

Notre participation à l’amélioration des services par l’entremise de notre comité nous aide en tant que jeunes concernés à grandir comme individus, à nous rétablir, à retirer nos étiquettes et à acquérir des connaissances et compétences importantes. Cela contribue également à un croisement des savoirs scientifiques et expérientiels qui pourra, nous l’espérons, produire des changements positifs dans la vie d’autres jeunes placés. Ainsi, nous sommes d’avis que, pour favoriser le rétablissement et développer le pouvoir d’agir des jeunes, il est nécessaire d’offrir différentes opportunités de participation aux jeunes afin qu’ils puissent développer un sentiment d’appartenance avec un groupe de pairs. C’est en donnant la parole aux jeunes que les professionnels pourront mieux comprendre leurs besoins et développer une vision plus large des réseaux de soutien à mobiliser dans la communauté́ pour bien les soutenir (Deschênes, Vargas Diaz et Grenier, 2020).

Références

Bélisle, R., Yergeau, E. R., Bourdon, S., Dion, M. & Thériault, V. (2011). Défis de la programmation ouverte dans l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté. Sociétés et Jeunesses en Difficulté.

Deschênes, J., Vargas Diaz, R. & Grenier, G. (2020). Réseaux d’action collective autour des jeunes et avec eux: synthèse du colloque REGARDS/CREVAJ, 50 p.

Goyette, M., Mann-Feder, V., Turcotte, D., Grenier, S., Turcotte, M.-E., Pontbriand, A. & El-Hadji, V. (2010). Étude longitudinale auprès de jeunes montréalaises à risque de maternité précoce issues des centres jeunesse : parcours d’insertion sociale et processus d’autonomisation au début de l’âge adulte. Rapport de recherche, Rapport des résultats de la collecte de données auprès des jeunes (tome 1). Centre national de prévention du crime, Montréal.Robin, P. (2012).

Les jeunes sortant de la protection de l’enfance : une citoyenneté à accomplir par l’action collective ? Nouvelles pratiques sociales, 24(2), 185-203. doi: https://doi.org/10.7202/1016355arTurcotte, M.-E. (2008). Utilisation des services sociaux et insertion sociale de jeunes adultes avec antécédents de placement pour des motifs de protection. Mémoire de maîtrise en santé communautaire, Université de Montréal.